lundi 11 octobre 2010

Entretien avec Chimène Denneulin

Une fois n'est pas coutume : votre blog accueille un entretien réalisé par Coline Auvray avec la photographe et graphiste Chimène Denneulin sur son travail et son séjour en Palestine pour la Nuit Blanche et Octobre en Fête.

"Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
J'ai commencé par des études d'histoire de l'art puis j'ai étudié les Beaux Arts pendant cinq ans. Je souhaitais être sculpteur. Consécutivement à mes études, je fréquentais le cinéma plusieurs fois par semaine. Les oeuvres qui me passionnaient notamment étaient celles des Straub, Pasolini, Bresson, le cinéma russe... Un cinéma lent et pictural, dont les protagonistes sont souvent des personnages issus des classes laborieuses.
Quelles ont été vos inspirations/influences quand vous avez débuté la photographie ?
J'ai été formée sous l'influence de l'école allemande (August Sander, les Becher), les Canadiens de Vancouver (Jeff Wall, Ken Lum) et les Américains (Lewis Hines, Walker Evans, Dorothea Lange)... Une photographie frontale voire brutale, aux évidentes préoccupations sociales et politiques.
Dans quelle mesure votre formation en graphisme vous apporte une autre perspective sur le travail de la photographie ?
Mon métier d'infographiste, qui m'a amenée à découvrir l'univers de la presse et de l'édition commerciale, me permet de contextualiser mes images comme lorsque je propose des installations in-situ. Je me sers alors des murs des salles d'expositions comme de pages vierges où les images sont "mises en page" avec mots, couleurs et formes graphiques. Cela dans l'intention sous-tendue de suggérer que mes images ne peuvent se passer de leur contexte de prises de vues, c'est à dire de mon état d'esprit combinant sensations et réflexions ainsi que de l'idée que le travail réalisé relève d'avantage d'un synchrétisme entre des sujets, formes, idées, parfois passablement éloignés. Dans ce cas, le lay-out me permet de concilier les différents éléments. On pourrait éventuellement parler d'une pratique de montage ou de collage.
Quelle est votre démarche artistique quand vous mettez en place un projet ?
A la fois faite de préjugés et de total abandon, ma démarche photographique consiste essentiellement à aller vers des sujets que je privilégie depuis toujours : portraits, paysages, objets urbains et naturels... Voitures, containers, cailloux, arbres, murs... Puis, petit à petit dans la période de prises de vues, je précise le propos, les relations entre les images elles-mêmes et l'idée générale que je souhaite faire passer (qui souvent ne s'élabore que sur place). Par exemple, en arrivant en Palestine, je n'avais en tête que les images diffusées dans les médias et quelques autres images chocs. Me tenant à mon principe de ne photographier que mes motifs de prédilections, je crois être parvenue à monter un ensemble où les images sont singulières, sans être inadéquates par rapport à une situation sociale et politique qui pour moi, demeure à la fois difficilement supportable et, inévitablement, opaque.
Quand vous photographiez la ville, les villes, vous parlez des gens qui les habitent ou des architectures, de l'urbanisme qui les constituent ?
Evidemment tout est lié. Mais à vrai dire, lorsque je photographie en ville où à la campagne, des personnes, des architectures ou des arbres... je suis constamment à la recherche de formes qui me permettent de citer d'autres formes. J'aime citer les oeuvres d'autres artistes dans mes travaux (peintres, sculpteurs, cinéastes, parfois photographes). Sans doute dû à mes études théoriques et formelles d'histoire de l'art et de sculpture. Le propos social ou politique s'immisce ensuite dans l'ensemble mais j'espère de manière sensible et surtout subtile.
Votre travail dépasse les frontières géographiques, vous avez beaucoup travaillé sur des villes dans le monde (Dakar, Bamako, San Francisco) qu’est ce que cela signifie pour vous de faire voyager votre regard, votre expression artistique ?
Le monde travaille, circule, communique, résiste, s'insurge... et cela en grande partie dans les villes ! A ça s'ajoutent les thématiques économiques, migratoires, territoriales, historiques et culturelles... dans un contexte international et géopolitique extraordinairement complexe et tendu. Les villes sont des utopies contrariées et en ça elles sont passionnantes, à la fois généreuses et chaotiques...
Je travaille actuellement sur la ville de Mexico : 30 000 personnes y arrivent tous les mois. 60000 personnes s'y seront installées pendant la durée de mon séjour ! Cela suppose une grande faculté d'adaptation, une sacré créativité, et beaucoup de tolérance... de toutes les parties.
Qu’est ce que la ville de Ramallah vous inspire ?
La ville de Ramallah m'a frappée par sa grande vitalité, à en voir les milliers de chantiers en construction ça et là. Des parpaings de béton pour mieux résister au béton du mur. J'y ai rencontré des personnes très cultivées, désireuses d'échanges, résolument modernes. Je suppose que mon travail en Palestine m'a permis de confronter mon regard à une réalité malheureusement trop peu séduisante pour la traiter facilement. Cela m'a pris des mois pour éditer et travailler les images afin que l'ensemble parle éventuellement aux Palestiniens".

Propos recueillis par Coline Auvray

Photographie de son exposition par Chimène Denneulin avec le musicien Ramadan Khattab

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